Les Médiocres ou la médiacratie du sensationel et des peurs

La peur irrationnelle, un marché prospère

dimanche 25 janvier 2004, par Mathias Delfe [www.oulala.net]

Sras, légionellose, suspicion d’attentat et bien sûr accidents en tout genre lorsqu’ils sont suffisamment spectaculaires et causent un nombre conséquent de victimes font le miel des médias populaires, télévisions et radios en tête ainsi qu’on peut s’y attendre.

Certes, pas question de remettre en question ici le droit d’informer, mais la hiérarchie de l’information, pas question de dénier aux médias de masse le devoir d’alerter la population, mais leur tendance à la maintenir dans un climat permanent de craintes infondées.

L’épidémie mondiale de l’imprononçable sras n’a fait que quelques centaines de victimes, mais elle a occupé la une des journaux durant plusieurs mois de l’année passée, déroutant du sud-est asiatique touristes et hommes d’affaires tandis que chaque voyageur de retour de cette région du monde se voyait considéré tel un porteur de la peste au Moyen Âge.

Si on comprend bien qu’une telle maladie jusqu’alors inconnue fasse l’objet d’une information et d’un suivi des autorités sanitaires, on comprend moins bien, d’un strict point de vue objectif, ce qui justifie un tel battage à propos d’une infection infiniment moins dramatique pour l’humanité que toutes celles, paludisme, tuberculose, bilharziose, pneumonie, sida, qui tuent chaque année des millions d’êtres humains sans que la presse s’en émeuve plus que cela, sinon la volonté de captiver le public avec ces monstres ancestraux qui ravageaient hier les peuples et qui les fascinent aujourd’hui en les faisant frémir. Et on commence à évoquer avec gourmandise la grippe aviaire apparue dans le sud-est asiatique, bien moins dévastatrice que le séisme de Bam en Iran, mais bien plus susceptible de faire trembler longtemps tous ceux qui ne sont pas assis sur une faille de la croûte terrestre …

Même chose avec l’offensive très limitée de légionellose dans le nord de la France qui fait, en synchronisme avec les gros titres, se déplacer des ministres tentant de faire oublier leur incurie au moment d’un vrai grave problème de santé publique durant la canicule de l’été dernier, épidémie qui ne compte que quelques dizaines de cas pour une poignée de malades décédés, des personnes immuno-déprimées à qui n’importe quel virus ou bactérie un peu agressifs auraient probablement été fatals. Il n’y a nul lieu de s’en satisfaire, sans doute, mais de là à affoler toute une région et à tenter de passionner tout un pays avec un danger largement surfait, il y a de quoi s’en étonner …

La maladie rare ou exotique n’est pas l’unique ficelle tendue jusqu’à la rupture que les médias affectionnent afin de retenir l’attention de leurs clients : l’accident de groupe, autocar ou avion, est bien évidemment exploité jusqu’à l’overdose de commisération, de pathos, d’hypothèses, d’expertises, de ridicule encore, témoins les malheureux passagers du vol Flash Air disparu en mer Rouge élevés au rang de héros pour la seule raison d’avoir été au mauvais endroit au mauvais moment, mais aussi celui d’automobile, pourvu qu’il sorte de l’ordinaire, l’idéal en l’occurrence étant que les victimes, nombreuses si possible, soit une mère de famille et ses enfants et le coupable un jeune -d’immigration récente est un plus appréciable- qui pilotait de préférence un véhicule de luxe surpuissant, dont on citera abondamment la marque comme si un cent à l’heure en ville n’était pas à la portée de n’importe quelle chignole venue.

La menace terroriste comme l’éventuel cataclysme naturel sont devenus deux épouvantails que les médias, dociles relais du pouvoir techno-politique, agitent aussitôt que faiblit le vent de la peur ; le risque de tempête comme celui d’attentat ont en commun d’une part d’être évalués sur des échelles colorées qui font monter et descendre la tension du jaune ou rouge puis du rouge au jaune sans qu’on sache bien ce qui motive ces variations, d’autre part d’être à peu près systématiquement utilisés à contre-temps, trop tard, trop tôt, ou sans rapport avec la réalité du danger, quand l’ouragan attendu se révèle dans la plupart des circonstances un simple coup de vent, quand le complot terroriste supposé faire sauter la planète se résume à un déséquilibré équipé d’une bombe factice.

Dans le même ordre d’idée, on remarquera qu’au domicile des activistes, la police saisit toujours un « arsenal », qu’il s’agisse d’une douzaine de véritables armes de guerre ou d’un vieux fusil de chasse accompagnée d’une carabine à plombs, tandis que les « substances suspectes » découvertent dans des bocaux sont toujours présentées comme hautement toxiques même s’il s’agit dans l’écrasante majorité des cas de produits tout juste susceptibles d’éliminer les cafards de la cuisine …

Quoi qu’il en soit, à force que les journaux créent des vagues artificielles sur un étang, le citoyen lambda, mal et surinformé, a souvent l’impression de se trouver sur une mer perpétuellement démontée.

Il serait absurde de crier au complot : France Inter, TF1 et même parfois Le Monde ou Libération (lesquels, heureusement, n’ont qu’une édition quotidienne quand leurs confrères de l’audiovisuel en ont jusqu’à une par heure) pour ne citer qu’eux, ne se passent pas le mot afin d’exploiter au même moment à la une la même information qui ne mériterait le plus souvent pas davantage qu’une brève, mais le fait est que commentateurs, rédacteurs et rapporteurs d’images rivalisent de conformisme comme de surenchère afin de monter en épingle ce que tous supposent être ce que leur hiérarchie espère qu’il sera écrit, dit et filmé et ce que leur clientèle souhaite lire, entendre et voir. Le journaliste des grands médias est un mouton de Panurge qui a pour principale occupation de singer ses confrères tout en se prenant pour un berger et qui s’adresse à des individus a priori adultes en les considérant justement comme des moutons.

Reste que la combine fonctionne, moins que ne le croient les faiseurs d’opinion, lesquels seraient sans doute surpris que tant de gens dans leurs conversations du matin dans les transports en commun les tiennent pour des imbéciles, mais, par simple accumulation, plus que de raison pourtant.

A force de matraquage, l’esprit le plus lucide se prend à redouter en sortant de chez lui que l’univers ne le broie et s’émerveille presque d’être indemne le soir en rentrant à la maison, ce qui est tout de même l’hypothèse la plus vraisemblable dans nos sociétés prospères et sécurisées où l’on finit par se demander qui de nos médiocres maîtres-penseurs ou de nous-mêmes se réjouit le plus de nos névroses.

Il ne se passe pas un jour sans que la presse locale et régionale ne relate une flopée d’accidents domestiques ou du travail, aussi pourrait-on à titre de test proposer aux manipulateurs plus ou moins volontaires, plus ou moins conscients, des médias nationaux de ressasser chaque jour durant trois semaines, exemples à l’appui, qu’il est dangereux de descendre un escalier ou de monter à une échelle, afin de vérifier ensuite si nos compatriotes ont bien acquis la terreur phobique des marches et s’il convient de légiférer afin de supprimer ces dangereux engins après qu’on aura élevé un monument à leurs courageuses victimes …

On rappellera pour mémoire la maladie de la vache folle qui a fait, et fait encore occasionnellement, couler beaucoup d’images, de commentaires et d’encre, au point de détourner les amateurs de bidoche de la consommation de bovins, non pour regretter ce qui n’est pas en soi forcément une mauvaise chose, sanitairement parlant, mais pour se souvenir que la grande presse ne s’est lourdement et longuement préoccupée de ce scandale que celui-ci se conjuguant déjà au passé, de sorte que le malheureux consommateur de viande et de news, qui ne redoutait rien du steak quand il aurait fallu, le prit en aversion quand il n’en risquait plus grand-chose …

Il y a le journalisme d’investigation, dont les enquêtes n’interpellent souvent que les élites, de passion, dont les articles irritent les pouvoirs et la bien-pensance en ne mobilisant toutefois que trop peu de consciences, et le journalisme de spectacle, qui, pour les foules, souffle jusqu’à la syncope sur des braises insignifiantes ou déjà éteintes, semant et entretenant la peur délicieuse en maintenant la réflexion au placard.

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Voir les mécanismes de la peur [www.asthma-reality.com] et voir les mécanismes des manipulations exercées sur les populations : [www.asthma-reality.com]

« On appelle « techniques de manipulation des masses », l’ensemble des moyens d’influence permettant la manipulation de l’opinion publique à des fins politiques, économiques ou stratégiques. »

Publié: 23 juin 2008 sous Les médiocres.

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