La dette des pays pauvres : l’enrichissement sans fin des pays riches

Tribunal International des Peuples sur la dette extérieure

VERDICT

dimanche 26 mai 2002, par Reprise d’article. [www.oulala.net]

À l’instigation de mouvements sociaux et populaires, des églises, de syndicats, d’organisations professionnelles, d’ONG, de partis politiques et de personnes connues qui constituent le réseau Jubilé Sud dans 45 pays du Sud, avec l’appui de pays du Nord, le Tribunal international des peuples sur la dette s’est réuni, avec comme objectif principal, de déterminer et juger la responsabilité des banques, des entreprises multinationales, des gouvernements du Nord, du Fond Monétaire International, de la Banque Mondiale et d’autres organisations financières internationales du délit d’endetter illégitimement les pays et les peuples du Sud, avec un coût humain très élevé et la destruction de la capacité productive et de la qualité de vie des peuples, avec l’augmentation de la pauvreté, de la mortalité infantile, de l’exclusion sociale et de grands dommages économiques et écologiques.

Outre la mise en évidence de l’illégitimité de la dette et l’identification des principaux responsables et de leurs rôles respectifs, le Tribunal a comme objectif de proposer des voies alternatives de répudiation et condamnation de la dette.

Ce Tribunal est un tribunal d’opinion et non une cour législative. Il respecte cependant une argumentation et une documentation rigoureuse, et s’appuie sur la diversité des traditions judiciaires et éthiques. A partir d’une accusation basée sur un vaste matériel documentaire et le témoignage d’hommes et de femmes d’Asie, d’Afrique et d’Amérique latine et des Caraïbes. En trois sessions, le jury populaire, formé de représentants de la société de différents pays, émet le verdict suivant :

Considérant :

- 1) que selon des études et des données, la dette des pays les plus pauvres a déjà été payée plusieurs fois, et est donc non seulement impayable, mais surtout illégitime, injuste et immorale,

- 2) que la dette externe n’est pas seulement un problème économique mais d’abord un problème éthique, politique, social, historique et écologique, qu’elle engage des responsabilités à des niveaux distincts et qu’elle exige une action immédiate,

- 3) que le service de la dette externe signifie un transfert net des ressources du Sud vers le Nord ;

qu’en 1998, les 41 pays les plus pauvres et les plus endettés ont transféré vers le Nord 1,68 milliard de dollars de plus qu’ils n’ont reçu ; que cette même année, l’ensemble des pays du Tiers Monde a enrichi de 114,6 milliards les caisses publiques et privées des pays les plus industrialisés,

- 4) que les peuples du Sud ont transféré vers le Nord, de 1981 à 2000, 3 700 milliards de dollars, ce qui correspond à six fois ce qu’ils devaient en 1891 (560 milliards), et qu’ils doivent maintenant 2 000 milliards,

- 5) que la politique néolibérale provoque une croissance exponentielle de la dette extérieure qui empêche les politiques sociales et hypothèque gravement la souveraineté politique des pays du Sud,

- 6) que la décision unilatérale des USA à la fin des années 70 d’augmenter les taux d’intérêt habituels de 4 ou 6 % à plus de 20% en quelques mois a signifié une véritable trahison de la bonne foi des contrats, et que, outre le fait qu’elle a obligé les pays endettés à emprunter pour payer les intérêts, elle a provoqué un payement supplémentaire qui a signifié une perte de 106 milliards de dollars pour l’Amérique latine,

- 7) qu’il y a un lien entre la dette extérieure, l’endettement public interne et la recherche de capital externe court terme, soumettant les pays du Sud à une politique de taux d’intérêt très élevés,

- 8) que les gouvernements des pays du Sud, qui considèrent le système financier comme un absolu et une fin, ont sacrifié la partie du budget destiné aux politiques sociales et à la dynamisation de l’économie interne pour maintenir à jour le payement de leurs dettes, avec comme résultats l’abandon de la santé, de l’éducation, des politiques de l’emploi, de l’habitation populaire, de la démarcation des terres des peuples indigènes et de leurs conditions de survie comme peuples, de valorisation des vieux et des jeunes, de réalisation de la réforme agraire, de conservation et récupération du milieu ambiant,

- 9) que les politiques économiques et d’ajustement du FMI furent désastreuses pour les pays qui s’y sont soumis et qu’elles ont servi à augmenter encore davantage la dette extérieure et les autres passifs extérieurs de ces pays, les forçant à un moratoire sans fin des dettes sociales et ambientales, desquelles sont créditeurs les garçons et les filles, les peuples indigènes, les femmes et les hommes travailleurs à la campagne et à la ville, les noirs et la nature,

- 10) que l’endettement de ces pays fut constitué par des gouvernements dictatoriaux et donc illégitimes et anti-populaires, et que les créditeurs, outre d’être complices, savaient les risques de ces prêts,

- 11) que l’augmentation de la dette est liée aux élites des pays du Sud qui pendant toute leur histoire et encore aujourd’hui, ont été complaisants avec les institutions financières de l’extérieur, aussi bien privées ou publiques et celles multilatérales,

- 12) que les pays du Nord ont avec le Sud une dette écologique à cause du pillage de leurs ressources, de l’appropriation intellectuelle de leurs connaissances ancestrales, de l’usage et la dégradation de leurs meilleures terres, de l’eau et de l’air pour des projets d’exportation qui menacent la souveraineté alimentaire, de la production de déchets toxiques qui mettent en danger la survie des peuples,

- 13) que la dette externe constitue une violation permanente des droits économiques, sociaux et culturelles établis par l’ONU le 16.12.66 qui exige la reconnaissance de chaque nation à l’autodétermination, au développement économique et aussi à la libre disposition de leurs richesses et ressources naturelles, et qu’en aucun cas un peuple peut être privé de ses propres moyens de survie.

Les membres du Tribunal des peuples sur la dette décident à l’unanimité :

1) La dette extérieure des peuples du Sud, pour avoir été constituées en dehors des normes légales nationales et internationales et sans consultation de la société, pour avoir favorisé presque exclusivement les élites au détriment de la majorité de la population, et parce qu’atteint la souveraineté nationale, elle est illégitime, injuste et non viable d’un point de vue éthique, juridique et politique.

2) Les accusés, banques et entreprises transnationales, gouvernements du Nord, Fond Monétaire International, Banque Mondiale et les autres institutions financières internationales de même que leurs collaborateurs dans le Sud, sont auteurs, coauteurs, complices et protecteurs des délits et crimes suivants :

- a) capter de manière sordide le patrimoine naturel et les autres ressources du Sud afin d’honorer leurs payements de leurs dettes externes, instruments politiques, idéologiques et économiques de l’exploitation de nos peuples ;

- b) maintenir et favoriser l’échange inégal qui a contribué à l’augmentation de la dette externe tout en accélérant l’extraction et la production de matières premières vendues à des prix très bas et simultanément l’importation de produits industrialisés achetés à des prix extrêmement élevés, échange inégal favorisé par les subventions maintenues par les pays riches ;

- c) percevoir des intérêts usuraires qui ont provoqué une augmentation exponentielle de la dette externe dont le volume n’a pas diminué en dépit du flux continu de payements venant des pays du Sud ;

- d) réaliser des opérations frauduleuses entre les grandes banques transnationales et les entreprises des pays du Sud, en simulant des dettes qui n’existent pas, ou à travers des mécanismes spéculatifs qui au lieu de favoriser la production ont servi à l’enrichissement de quelques uns puisque ces dettes simulées ont été étatisées ;

- e) appliquer les politiques d’ajustement structurel et d’autres politiques économiques qui imposent à nos États la privatisation des ressources naturelles et des services essentiels et l’utilisation de l’argent qui doit être destiné aux programmes sociaux ou à la relance économique, au payement de la dette ;

- f) appuyer des régimes dictatoriaux criminels à travers des prêts qui les soutiennent tout en permettant leur enrichissement illicite, en dépit de la résistance des peuples opprimés et des sanctions adoptés par les organismes des Nations Unies ou des droits humains ;

- g) appliquer de façon perverse les ressources des dettes contractées en les destinant à l’enrichissement des gouvernants, en favorisant les dépenses somptuaires et les dépôts dans les banques étrangères au lieu de les utiliser pour des programmes sociaux ;

- h) imposer par la force des programmes d’intégration économique qui se caractérisent par le fait de favoriser uniquement les intérêts des entreprises transnationales des pays du Nord et par le fait de violer les droits fondamentaux des peuples ;

- i) imposer des conditions politiques et économiques restrictives dans les pays endettés pour obtenir la renégociation de la dette ;

- j) continuer a percevoir une dette qui a déjà été payé plusieurs fois c’est à dire de commettre le délit d’épuisement ;

- k) violer le droit international ainsi que les normes et instruments légaux tels que la Déclaration universelle des droits de la personne, la Convention 169 de l’OIT sur les peuples indigènes, la Convention pour l’élimination de toutes les formes de discrimination contre les femmes, le droit à l’autodétermination des peuples, parmi beaucoup d’autres, ainsi que les lois nationales ;

- l) fomenter un complot international parmi les accusés afin de piller et de spolier les peuples du Tiers Monde, c’est à cette fin que les crimes antérieurement mentionnés ont été systématiquement commis

- m) commettre le crime de génocide et des crimes contre l’humanité.

Le Jury demande au Tribunal qu’il prononce une sentence condamnant les accusés d’avoir perpétré tous ou quelques uns des délits et crimes commis et mentionnés dans ce verdict. Il sollicite en plus que le Tribunal déclare la dette externe inexistante et par conséquent nulle et non avenue parce qu’elle est odieuse, infâme, illégale, usuraire, injuste, frauduleuse, illégitime et qu’elle a causé la perte de la souveraineté nationale et la dégradation de la qualité de vie de la majorité de la population du Sud.

Le Tribunal a accepté les recommandations suivantes du Jury :

- Faire un appel à l’union des citoyens présents à ce Forum, aux peuples du Sud et aux citoyens des pays du Nord solidaires avec la cause des peuples à réaliser des campagnes pour assurer l’annulation et la répudiation de la dette extérieure,

- Lancer des processus souverains d’audits indépendants de la dette externe de nos pays afin de faire une vérification comptable et juridique et d’établir s’il existe encore une dette non payée, et établir également des procédures participatives et démocratiques de contrôle sur l’endettement,

- Demander aux parlements des pays endettés d’analyser la manière dont on agi les responsables de la dette illégitime, et de les déclarer légalement responsables,

- D’exiger la restitution des richesses volées au Sud et le payement des dommages causés par cela,

- Demander de rendre aux peuples les richesses que les dictatures, les gouvernements corrompus et les entreprises transnationales se sont illégalement appropriées,

- Soutenir des campagnes pour la solidarité et la souveraineté sans céder aux accords économiques multilatéraux ou bilatéraux qui portent atteinte au bien être des peuples, y compris les accords avec le FMI, ou d’autres institutions financières internationales,

- Proposer aux gouvernements de s’unir pour défendre une cause commune et de la porter à la Cour Internationale de Justice de La Haye une demande de considération sur l’illégitimité de la dette extérieure, et de suspendre tous les payements des , intérêts de la dette,

- Proposer aux gouvernements que ces intérêts soient utilisés exclusivement pour des programmes pour le développement durable pour la vie des peuples,

- Accompagner les processus locaux et nationaux qui recherchent la création de sociétés durables du point de vue économique, alimentaire, énergétique et ambiental, équitable et égalitaire,

- Appuyer la campagne pour la réparation de la dette écologique, qui est de la responsabilité et de l’obligation des Etats du Nord, des entreprises multinationales, du système bancaire multilatéral et d’autres institutions financières privées

- Remettre les conclusions de ce Tribunal aux principaux acteurs qui ont été identifiés et de leur demander d’y répondre dans un temps fixé,

- Accompagner les demandes légales qui suivent ce verdict de la part des plaidants à ceux qui furent accusés et déclarés coupables par ce Tribunal, pour éviter que ces crimes commis restent impunis, et dénoncer les gouvernements corrompus qui ont permis ce spoliation des peuples.

Le Jury présente ce verdict au Tribunal comme geste de justice envers les peuples du Sud et toute l’humanité. Celui-ci est une étape symbolique d’une longue marche. C’est notre décision. Qu’elle soit publiée et diffusée.

——— Suite

Dette publique des pays en développement et prêts « subprimes » : hold up chez les populations du tiers et du quart monde

mercredi 16 janvier 2008, par olivier.lorillu@cadtm.org

[www.oulala.net]

La titrisation des subprimes est la dernière invention de la finance internationale pour faire des profits avec le travail des classes pauvres. Les « subprime mortgages » sont des crédits hypothécaires à risques, typiquement étasuniens. La banque ayant obligé l’emprunteur à mettre sa maison en garantie de son remboursement, 2 à 3 millions de foyers américains sont en train de perdre leur bien à la suite de la montée du taux directeur du trésor, de la baisse du marché de l’immobilier et des clauses contractuelles dignes de l’usure. Plus ancienne méthode d’enrichissement et toujours active depuis 25 ans, la dette publique des PED (pays en développement) correspond à des prêts, généralement à long terme, faits aux états du sud par les grandes banques, les gouvernements des pays riches ou les institutions financières internationales BM et FMI. Suite à la crise de 1982, conséquence de la violente montée des taux états-uniens de 1979, elle est une cause essentielle dans l’appauvrissement de la moitié des habitants de la planète obligée de survivre avec moins de 2 dollars par jour. Par contre les flux continus d’argent du sud vers le nord, au titre du remboursement de la dette, vont considérablement enrichir la finance internationale et les pays industrialisés. Ce que certains perdent, d’autres vont le gagner. L’APD (aide publique au développement) restera constamment très insuffisante face à ce déséquilibre constant des flux financiers en défaveur des pays pauvres.

Les similitudes entre ces deux drames financiers sont multiples, elles concernent aussi bien : les populations qui subissent, les courtiers – ceux qui placent les prêts – avec les techniques et les mensonges utilisés pour convaincre les emprunteurs, les risques incroyables pris par les banques et le système financier pour des bénéfices démesurés, la mise en danger de l’économie planétaire, le sauvetage par les banques centrales ou le FMI – donc par l’argent public – quand la conjoncture se retourne, les conditionnalités imposées par le préteur lui offrant une domination totale sur son débiteur en cas de défaillance.

Qui paient ces dettes ?

Aux Etats-Unis, la grande majorité des prêts a été accordée à des populations latinos ou afro-américaines, les plus fragiles et les plus pauvres, les plus faciles à attirer avec des offres mirobolantes : des taux très bas et des remboursements très faibles au départ. Souvent peu cultivées, parfois analphabètes, généralement mal logées, elles sont évidemment hypnotisées par le rêve consumériste américain. La maison individuelle en est l’emblème. Le plus souvent incapables de lire ou de comprendre l’impact sur leur futur des clauses des contrats, elles sont des proies idéales pour les chasseurs de profits faciles. Dans les années 1960 et 70, les pays nouvellement indépendants d’Afrique et d’Asie, les pays d’Amérique latine avaient de forts besoins financiers pour leur reconstruction et leur développement. Eux aussi ont été fascinés par le miracle matérialiste occidental. Leurs dirigeants se sont laissés bernés, mais surtout corrompre, par des prêts aux conditions tellement favorables. Là aussi ce sont les populations latinos, indos-américaines, africaines et asiatiques qui ont été touchées. C’est leurs forces de travail et leurs impôts qui ont été utilisés et le sont encore aujourd’hui pour payer ces emprunts si peu, ou pas du tout, investis dans le développement de leur pays. A partir de 1982, les nouvelles dettes ont servi le plus souvent à rembourser les premières. Depuis 25 ans, beaucoup de ces pays consacrent 40% de leurs maigres revenus, donc du budget de l’Etat, au remboursement de la dette extérieure publique.

Les courtiers : techniques et mensonges pour convaincre les emprunteurs

La courroie de transmission sera dans les 2 cas ce fameux courtier. Celui qui place les emprunts, qui séduit le client en l’appâtant avec des bobards et en lui cachant non seulement les vrais risques, la variabilité des taux, mais surtout les clauses impliquant la montée vertigineuse des remboursements dès la 3ème année et pendant les 27 à venir pour les prêts « subprimes ». Celui qui gagnera beaucoup d’argent sur chaque contrat signé, quelque soit le risque de faillite de l’emprunteur. L’argument choc étant que la montée des prix de l’immobilier permettra à l’emprunteur de revendre son bien et de retomber sur ses pieds en cas de difficultés de remboursement.

En Afrique, Asie ou Amérique latine, les dirigeants étaient souvent des dictateurs. Ils seront les véritables courtiers de leurs populations respectives. En se laissant corrompre, en détournant une grande partie des prêts au vu et au su du prêteur, ils ont su faire accepter ou plus simplement imposer ces emprunts à leur population. Soit ils ne donnaient pas les éléments d’information suffisants pour comprendre et suivre l’utilisation des prêts, soit l’emprunt était contracté, et en partie détourné à l’abri des regards, au fond des palais dorés. Ils ont privilégié leur profit immédiat et personnel sur celui de la population de leur pays pour le plus grand bénéfice des préteurs et de leurs commanditaires. Ce sont les impôts des paysans et autres petits producteurs non informés – le fruit de leur travail – qui sera exporté par le pays emprunteur au titre du remboursement de la dette. Mensonges et opacités des courtiers sont des marques de fabrique de la pauvreté des populations fragiles ici et là-bas.

Les risques incroyables pris par le système financier pour des bénéfices démesurés

Le premier rôle est tenu par les banques. Dans les deux cas elles disposent de liquidités considérables et sont à la recherche d’emprunteurs. En 2005-2007 les banques sont très riches, les transnationales dont elles sont les grands actionnaires font des profits vertigineux, elles sont éminemment prêteuses. Les taux sont bas, les potentiels immenses. Les banques américaines n’hésitent pas à faire des prêts immobiliers à des clients quasi insolvables. Le taux de départ ridiculement bas, sera, après les 2 premières années, exagérément élevé. Si le niveau du « prime rate » monte, du fait de la clause de variabilité et d’indexation, et que, du même coup le prix de l’immobilier se stabilise ou baisse, l’emprunt sera difficilement remboursable. La maison devenant invendable au prix espéré, ce sera la faillite de l’acheteur endetté.

Par la magie de la technologie financière, la titrisation, – le regroupement des créances immobilières en paquets et l’émission de titres négociables représentant ces paquets – les banques revendent ces créances improbables, mais avec bénéfices, sur le marché des actions. Les investisseurs, à la recherche de profits exceptionnels, ne peuvent pas toujours en évaluer les dangers. Après la vente de ces créances titrisées, les risques sont externalisés et dilués dans l’ensemble de la planète financière. Les banques peuvent alors s’engager sans risques apparents à prêter à de nouveaux emprunteurs insolvables (les « ninja » : no income, no job, no asset) au-delà de tous les critères de la soit disant « bonne gouvernance ». Car, pour que la chaîne des profits issus des « subprimes » fonctionne sans cassures, il faut l’approvisionner en permanence avec de nouveaux acheteurs quelque soient leur solvabilité.

En 60-70 les caisses des banques internationales ont été remplies, une première fois par le retour des dons américains du Plan Marshall après la reconstruction de l’Europe et une deuxième fois par le retour des avoirs des producteurs de pétrole après la montée vertigineuse des prix décidée par l’Opep en 73. Le métier d’une banque étant de prêter et non de thésauriser, quel meilleur argument pour convaincre l’emprunteur que des taux très bas. Mais comme pour les « subprimes », ils seront variables et indexés sur le « prime rate » : ce taux fixé par le trésor américain pour le refinancement des banques. Le taux de l’inflation monétaire – la perte de valeur de la monnaie – sera parfois supérieur au taux nominal des prêts. Une situation qui sera favorable aux pays emprunteurs jusqu’au début 80. Pourtant, les banques prêteront largement au-delà de leurs fonds propres, prenant des risques inouïs. Elles ne chercheront pas plus à savoir si les pays seront solvables jusqu’au terme des contrats.

La mise en faillite des pays pauvres dans le premier cas et des pauvres du pays le plus riche dans l’autre

Lorsque les Etats-Unis décident unilatéralement de multiplier en 1979 le taux de refinancement des banques, le « prime rate », par 4, pour casser la perte de valeur du dollar et faire rentrer les capitaux étrangers dans leur pays, ils entraînent le renchérissement des remboursements de la dette extérieure des pays en développement dans les mêmes proportions par l’effet de la variabilité et de l’indexation. Ces derniers, ne pouvant plus payer, font appel au FMI, en dernier recours, qui, impose alors en échange de son aide des conditionnalités ultralibérales appelées PAS (plans d’ajustement structurel).

Le piège de la dette vient de fonctionner. Les pays en développement empruntent pour rembourser une dette devenue impayable pour cause de force majeure (imprévisible extérieure et irrépressible). Ces dettes ne sont plus légitimes, elles n’avaient juridiquement pas à être remboursées : les clauses du contrat d’origine étant devenues trop différentes. A celles-la, il faut rajouter les dettes « odieuses » : celles correspondant aux prêts faits aux dictateurs. Et pourtant les pays et leurs contribuables paieront et payent encore aujourd’hui. Le résultat a été la paupérisation de la grande majorité des populations de ces pays et la mort par malnutrition et maladie pour beaucoup.

En 2007, la même cause, la montée des taux américains provoque mécaniquement le renchérissement des mensualités des emprunteurs « subprime ». Les nouveaux acheteurs se font rare, les « Ninja » commencent à tomber en faillite. A la fin de la 2ème année, les remboursements sont trop lourds – le prix de l’immobilier surévalué retombe, les maisons sont invendables et c’est l’ensemble de la chaîne des créances subprimes titrisées qui s’écroule. Des millions de foyers américains vont se retrouver dépossédés de leur maison. Dans les deux cas c’est l’ensemble de la planète financière qui se met à tanguer dangereusement et les populations les plus fragiles qui subissent les pertes et paient la facture.

Le sauvetage par les banques centrales ou le FMI, donc par l’argent public, quand la conjoncture se retourne : la mise en danger de l’économie planétaire

Sans les apports d’argent détenu par les instituions publiques ou internationales, le système financier se serait très probablement écroulé sur lui-même dans les 2 cas. Résultat, ce sont d’abord les banques, engagées bien au-delà de leurs fonds propres, qui seront sauvées en 1980. C’est l’ensemble du système financier international qui évite la faillite du même coup grâce à l’argent public détenu par le FMI. Ce dernier impose que les banques soient remboursées en premier. Le développement des pays en grande difficulté, lui, attendra. En 2007, c’est de nouveau le système financier international qui échappe à la catastrophe grâce aux injections monétaires des banques centrales à New York comme à Francfort ou à Tokyo. Des centaines de milliards de dollars et d’euros ramènent un peu de la confiance perdue dans un système financier aveuglé par les reflets de ses faux diamants. Les pauvres, ceux qui auront perdu leur maison dans ce jeu de dupe, passeront leur tour, pas de chance.

Les conditionnalités imposées par le préteur lui offrant une domination totale sur son débiteur en cas de défaillance

Alors que ce sont des décisions financières extérieures aux pays en développement qui créent le problème de solvabilité, le FMI va imposer que les budgets des pays emprunteurs soient élagués au plus court. Les plans d’ajustement structurels, la lutte contre la pauvreté, les annulations de dette, l’APD, les OMD, n’y changeront rien, ou si peu, car elles permettront à un système injuste, immoral et inhumain de perdurer. Ce sont les populations innocentes qui vont perdre leurs services publics, santé, éducation, infrastructures. En plus elles subiront la libéralisation à marche forcée, l’ouverture des frontières avec la concurrence totalement déséquilibrée entre les petits producteurs du sud et les multinationales du nord. Elles devront aussi rembourser indéfiniment une dette pourtant devenue illégitime quand elle n’était pas déjà « odieuse ». Les effets de la crise de la dette ne sont pas terminés car la spirale infernale de l’emprunt pour rembourser le précédent est toujours opérante en 2007 et les 3 milliards d’humains qui vivent avec moins de 2 dollars par jour en sont l’expression la plus visible. Quant aux millions de latinos et afro-américains des États-Unis, soit ils réussissent à travailler plus pour gagner plus – 24h sur 24 – pour payer et enrichir les acheteurs de ces créances titrisées qui rapportent jusqu’à 16 ou 18% à leurs détenteurs – quand le taux de refinancement des banques est à 4%. Soit ils retourneront dans des logements insalubres après avoir tout perdu. Ils ne seront même pas aidés par ces drôles de pouvoirs publics qui viennent de sauver un système financier aussi féroce et ploutocratique qu’incapable de s’autogérer.

Nicolas Sersiron, vice-président du CADTM France.

Comité pour l’annulation de la dette du Tiers Monde.

Publié: 23 juin 2008 sous Les médiocres.

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